1997 Jean-Claude Gabus

Geboren am 26. August 1950 in Le Locle. 1972 Abschluss der Ausbildung am Technikum in Le Locle als Maschinenkonstrukteur. lm gleichen Jahr Entwicklung des «Linguaduc» (ein mit der Zunge bedienbares Steuerungs- und Befehls-modul, das Behinderten die Bedienung zahlreicher elektronischer Geräte ermöglicht). 1973¬1980 Leitung des eigens für ihn bei der Carbagas eingerichteten Erfindungs- und Konstruktionsateliers (kleines, nicht kommerziell orientiertes Profit-Center). Es können rund 18 Patente für technische Hilfen angemeldet werden. 1980¬1982 freie Beratertätigkeit. 1982 Gründung der Fondation suisse des téléthèses (mit Unterstützung der Aktion Sorgenkind und der Schweizerischen Paraplegiker-Stiftung). Seither Leitung dieser Stiftung.

In Anerkennung seiner bahnbrechenden technischen Erfindungen für die Erleichterung der Lebensführung behinderter Menschen.

Laudatio

Evelyne Delachaux

L'historien grec Thucydide a écrit au Ve siècle avant notre ère cette phrase qui m'a laissé perplexe; je cite: «L'éloge des actions d'autrui n'est supportable que dans le mesure où l'on se croit soi-même capable de faire ce qu'on entend louer.» Si je prenais cette citation à la lettre, je devrais donc me taire immédiatement, n'ayant hélas absolument aucune notion d'informatique, de microtechnique ou de micro-électronique. Mais ni le président, ni le jury de la Fondation Brandenberger ne l'entendent ainsi. Je me suis donc lancée à l'eau. Cette année notre conseil s'était fixé comme objectif de couronner un lauréat s'étant distingué dans le domaine de la communication.

Comme vous savez, nous avons unanimement jeté notre dévolu sur M. Jean-Claude Gabus. Nous voulons aujourd'hui honorer le chercheur que nous recherchions — et qu'un journaliste a surnommé «l'homme qui met du coeur dans ses robots» — «Celui qui veut réconcilier sciences humaines et sciences exactes». Je pense que Mme Irma Brandenberger aurait aimé cette description de notre lauréat.

Qu'est-ce qui caractérise un chercheur? Selon le Larousse c'est un esprit qui explore, fouille, furète, recherche, imagine, scrute et sonde. Il est tendu vers la découverte. Et s'il découvre, il peut devenir un inventeur. C'est-à-dire une personne qui rencontre (parfois par hasard!), une personne qui surprend, qui crée le premier une nouveauté, qui imagine une chose que l'on donne comme réelle. Il est par conséquent ingénieux, créatif, innovateur. Il a le génie, le talent d'inventer, des dispositions ou des aptitudes nécessaires à la création. Autrement dit, et selon Lafaye, je cite: «La découverte est proprement une conquête de l'esprit humain; l'invention en est une production.» A mon avis, c'est un don que relativement peu d'individus reçoivent à la naissance. Or nous avons maintenant le plaisir d'honorer une telle personne.

Jean-Claude Gabus rencontre à l'âge de 21 ans un enfant paraplégique totalement dépendant lorsqu'il est encore étudiant au Technicum du Locle. Depuis lors, il consacre tous son temps, toute son énergie et son esprit inventif, à développer des systèmes électroniques pour donner à la personne handicapée une certaine indépendance. Dès les débuts de ses recherches, Jean-Claude Gabus est absolument convaincu que chaque être humain est doté d'une certaine forme d'intelligence et que nul n'est contraint à la passivité complète qui engendre le silence, l'indifférence, l'ignorance, l'apathie. C'est ainsi qu'il poursuit inlassablement ses recherches pour donner aux personnes privées de la parole, ou du mouvement, une certaine autonomie. Son but étant d'améliorer la vie de ceux qui souvent étaient abandonnés par la société, qui les considérait, par le passé, comme irrécupérables, ou simples d'esprit.
Sa première invention est brevetée en 1972 (il a 22 ans!). Il gagne un premier prix au Salon des inventions de Bruxelles, pour un module de commande nommé Linguaduc.

Il est engagé de 1973 à 1980 dans la société Carba S.A. à Berne, qui crée, à son intention, un département destiné à développer et à diffuser des aides électroniques. Durant cette période il dépose 18 brevets, mais il doit cesser cette activité après sept ans, la rentabilité n'étant hélas pas satisfaisante.
Après avoir terminé deux mandats de recherche en microtechnique et micro-électronique, Jean-Claude Gabus fonde en 1982, avec l'aide de la Fondation suisse en faveur de l'enfant IMC, et de la Fondation suisse pour paraplégiques, la Fondation suisse pour les téléthèses, la FST. Téléthèse veut littéralement dire: «prothèses à distance». En allemand son appellation est plus parlante, elle se nomme: «Stiftung für elektronische Hilfsmittel.» Cette fondation est un organisme de droit privé. Son siège est à Neuchâtel. Aujourd'hui la Fondation suisse pour les télé-thèses compte 29 collaborateurs. Leurs activités recouvrent les moyens augmentatifs de la communication, le contrôle de l'environnement, les accès ergonomiques à l'ordinateur, la recherche et le développement.

La FST a équipé en Suisse plus de 5000, et à l'étranger, environ 4000 personnes handicapées, qui utilisent quotidiennement un ou plusieurs moyens auxiliaires électroniques, spécialement adaptés à leurs besoins. La FST exporte plus de 50% de son chiffre d'affaires, principalement en France et en Allemagne. Elle participe également à plusieurs projets de recherche, avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique; et de celui de l'Union Européenne. Celui-ci compte une dizaine de projets.

Jean-Clàude Gabus a été nommé expert à Bruxelles dans plusieurs programmes qui s'occupent de recherches dans le domaine de la technologie au service du handicap. Il est membre de divers comités et commissions scientifiques, par exemple, à I'EPFL, à l'Ecole d'ingénieurs du Canton de Neuchâtel, à la Conférence suisse des départements de l'instruction publique, à l'Université technologique de Compiègne en France. Son savoir est donc aujourd'hui reconnu et recherché de plus en plus.

Ce qui a été spécialement remarqué parmi ses inventions, c'est une téléthèse de contrôle de l'environnement, nommée «JAMES»; qui offre à une personne même complètement paralysée, la possibilité de faire seule les gestes suivants: téléphoner, contrôler son téléviseur, allumer et éteindre la lumière, ouvrir ou fermer poêles et fenêtres, ou voir, appeler quelqu'un. Ce système est utilisable avec les doigts, ou la langue, ou le souffle, et bientôt le regard suffira. Il propose des dizaines de différentes fonctions et permet ainsi à l'utilisateur de prendre une certaine indépendance tout en ménageant le personnel qui devait auparavant accomplir ces gestes. Puis la FST a élaboré une téléthèse munie d'une voix synthétique, destinée à faciliter la communication des personnes privées de langage verbal. HECTOR, c'est son nom, était la première «machine à écrire parlante», librement programmable, disponible sur le marché dès 1994. Elle peut s'exprimer en six langues. Sa voix synthétique peut ressembler à celle d'un enfant, d'un adolescent, d'une femme ou d'un homme. Hector enseigne à l'utilisateur simultanément la lecture et l'écriture, et annule le préjugé qu'une personne privée de parole est privée de réflexion ou d'intelligence.

Depuis 1995 la FST développe un dispositif destiné à éviter l'errance des personnes souffrant de démence. C'est un système qui permet de se situer dans un cadre précis, empêchant ainsi à la personne de fuguer ou de se perdre. Bien nommé, QUO VADIS est un équipement qui rend bien des services surtout dans des institutions pour personnes âgées. Actuellement la FST dispose d'un catalogue de plus de 300 articles, dont plus d'un tiers a été élaboré dans ses laboratoires à Neuchâtel.

C'est grâce à la collaboration d'ingénieurs, de techniciens, d'informaticiens, que ces appareils ont vu le jour. Car Jean-Claude Gabus a le grand mérite de s'entourer de spécialistes sachant aussi consulter et écouter les professionnels qui encadrent les handicapés. Il s'agit de médecins, psychologues, logopédistes, enseignants, éducateurs et j'en passe. Et c'est là que se rejoignent le savoir des sciences exactes et celui des sciences humaines; et la téléthèse en est le résultat. Selon M. Gabus, l'application et l'utilisation de l'appareillage ont toujours été plus importantes qu'une technique sophistiquée. La FST s'attache, en conséquence, à conseiller et à former les familles et les professionnels qui entourent l'invalide-utilisateur, car le critère de réussite pour toute téléthèse est le contact avec le patient. La technologie ne peut, ni ne doit, le remplacer. Pour Jean-Claude Gabus en effet, la machine, malgré tous ses mérites, ne doit être que l'outil permettant de créer ce contact. Celui-ci une fois établi favorisera la création de liens de solidarité, d'humanité, de communication et d'amour, qui permettront de faciliter une réinsertion progressive du patient dans la société.

Notre Fondation est heureuse de récompenser aujourd'hui un lauréat qui allie si harmonieusement ses talents de chercheur-inventeur à d'éminentes qualités humaines. Lui qui a dit, je cite: «Mes propres convictions ne servent à rien aussi longtemps que l'autre ne les partage pas.» Soyez-en convaincu cher M. Gabus: ce prix est la preuve que nous partageons vos convictions! Et pour terminer une citation d'Ibsen:

«La vocation est un torrent qu'on ne peut refouler, ni barrer, ni contraindre. Il s'ouvrira toujours un passage vers l'océan.»

Loin de nous l'idée de freiner une telle vocation — nous désirons au contraire, l'encourager, la stimuler, l'applaudir, afin qu'elle parvienne dans le plus bel océan du monde!

 

Y croire!

Jean-Claude Gabus

Mes remerciements vont
—    à la Fondation Brandenberger;
—    à nos donateurs;
—    à l'OFAS;
—    à l'OFES, représenté par M. Lino de Faveri
—    à la Fondation suisse pour paraplégiques, représenté par le Dr. Guido A. Zàch;
—    à la Fondation suisse en faveur de l'enfant IMC, représenté par M. G. Grossglauser;
—    à l'UE et aux collègues que j'y ai rencontres, représenté par M. Koos van Woerden (TPD-NL) et M. Eugenio Guglielmelli, SSSA, Pisa;
—    au Canton de Neuchâtel, représenté par M. Francis Matthey, conseiller d'Etat;
—    à l'EICN, représenté par M. Samuel Jaccard;
—    au conseil et au comité, représentés par le Dr. Zàch et le Dr. Junier;
—    à l'équipe FST, représentée par Mmes K. Roth et C. Schroer;
—    à Carba, à Berne;
—    à ma famille et à mes enfants, qui ont accepté les contraintes liées à mon travail;
—    à mes parents qui, il y a 25 ans, ont tout de suite cru à ce que je faisais.


Qui sommes nous?

La Fondation suisse pour les téléthèses (FST) à Neuchâtel a pour objet de mettre la technologie, essentiellement électronique et informatique, au service de la personne handicapée. Depuis sa création, en 1982, l'aspect «application» reste son objectif prioritaire. Aujourd'hui, en Suisse, plus de 3000 personnes handicapées utilisent quotidiennement les divers appareils de son assortiment et bénéficient des nombreux services qui leur sont liés (information, formation, définition de projets rééducatifs utilisant des aides techniques et leur mise en service, le suivi et l'entretien des appareils). A l'étranger, ce sont un peu plus de 4000 personnes qui utilisent nos produits, essentiellement JAMES.

La FST dispose également d'un laboratoire de recherche et développement. Elle entreprend des travaux lorsque ce qu'elle recherche ne se trouve pas déjà sur le marché et que l'intérêt du résultat escompté est reconnu par un groupe d'experts indépendants. Actuellement, elle consacre environ le 20% de ses ressources humaines à ce secteur. La FST «pratique» la création depuis le début de son activité et lui doit une part importante de sa survie.

Voici, dans les grandes lignes, les travaux qu'elle a entrepris depuis sa fondation:

1983: mise au point de claviers spéciaux permettant à une personne handicapée de travailler avec un ordinateur, sans l'usage de ses mains.
1984: première machine parlante librement programmable, HECTOR (destinée aux personnes sans langage oral).
1987: première télécommande infrarouge programmable, JAMES (qui a la faculté d'apprendre et de restituer les codes d'autres télécommandes) permettant à une personne gravement handicapée de «contrôler son environnement», plus particulièrement dans le cadre de son habitat.
1993 à 1996: développement d'un standard caractérisant un réseau local permettant de combiner entre elles les aides techniques les plus diverses. Ce projet a été réalisé dans le
cadre d'un programme de recherches de l'Union Européenne.
1994: système permettant de détecter les crises d'épilepsie nocturnes et d'en enregistrer certains paramètres.
1995: dispositif de surveillance électronique destiné à protéger les personnes sujettes à
Grâce a Quo vadis, des personnes qui ne peuvent s'orienter de manière autonome profitent d'une plus grande liberté de mouvement dans des zones «sûres» (intérieur de bâtiments, jardins, etc...).
l'errance (par exemple, les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer).
1996: fin du développement de JAMES, seconde génération du JAMES.

Sur le plan de la méthode et de l'application de ces technologies, plusieurs publications ont été faites, notamment dans les domaines de la communication augmentative, du contrôle de l'environnement, de l'utilisation de l'ordinateur ou sur des thèmes plus généraux. Certains de ces travaux sont aujourd'hui encore considérés comme des références.

Les travaux suivants nous occupent en 1997:
—    Développement d'une gamme d'aides tech-niques réalisées au standard M3S mentionné plus haut.
—    Application des aides techniques pour des personnes du troisième âge présentant une démence (appui initial du Fonds national suisse de la recherche scientifique).
—    Participation, avec plusieurs partenaires, à 5 nouveaux projets de recherche de l'Union Européenne (projets d'une durée de trois ans).

L'activité de la FST ne se limite pas au seul territoire helvétique; le 50% environ de son chiffre d'affaires est réalisé à l'étranger. Elle occupe aujourd'hui 26 collaborateurs.
Son financement repose sur quatre piliers. En Suisse, les prestations de service et le matériel qu'elle fournit aux personnes handicapées sont, dans la très grande majorité des cas, pris en charge par l'Assurance-invalidité et l'Office fédéral des assurances sociales. Les travaux de recherche et de développement font l'objet de mandats privés ou publics. L'exportation à l'étranger de ses produits contribue toujours plus à ses ressources financières. Enfin, plusieurs importants donateurs soutiennent les activités de la fondation qu'il reste à financer.


Quels résultats?

Il me semble que le résultat le plus important et le plus gratifiant nous vient des personnes handicapées elles-mêmes. Il y a 25 ans, lorsque je présentais les possibilités de communication offertes par ces technologies, notamment pour les personnes souffrant d'infirmité motrice cérébrale, on me disait, par exemple: «C'est inutile, ils ne parlent pas, ils ne pensent pas!»

Aujourd'hui, on sait que cela n'est pas vrai, bien sûr. Nos machines ont donné aux personnes gravement handicapées la possibilité de témoigner elles-mêmes de leurs possibilités. Il en résulte une image plus juste et constructive. Par ailleurs, il est réjouissant de constater que le 5% environ des utilisateurs de HECTOR ont fini par s'exprimer eux-mêmes, sans l'aide d'une machine. N'est-ce pas là un succès particulièrement réjouissant!

Dans le domaine du contrôle de l'environnement, d'aucuns craignaient que «la technologie ne se substitue aux relations humaines». On constate aujourd'hui qu'il n'en est rien et que, au contraire, elle contribue à les faciliter en diminuant la contrainte engendrée par la dépendance d'une personne sévèrement handicapée envers son entourage.

Tout utilisateur s'implique et innove dans le processus de création. Par ces quelques lignes, je vais tenter de décrire le chemin parcouru par un créateur et sa «création», de l'idée originale à la banalisation de celle-ci, soit jusqu'au moment où le «consommateur» s'approprie complètement un nouveau projet. En effet, il est rare qu' un nouveau concept, une nouvelle idée ou encore un nouveau produit ne soit pas jugé comme un «amusement d'ingénieur». C'est donc le temps qui donne à ces observations le recul permettant de se faire une idée plus juste de l'intérêt réel (éventuel) de la nouveauté.

 

Quels projets avec quels moyens?

Dans la plupart des situations, si l'on demande au consommateur ce qu'il souhaite avoir demain, il restera prisonnier des références de son vécu. En d'autres termes, il éprouvera une grande difficulté à (oser) imaginer l'utilité d'une nouveauté. Si le créateur présente, sur la base d'un projet ou d'un prototype, une nouvelle idée pour avoir une appréciation de l'intérêt de sa proposition, il obtiendra, dans les meilleurs cas, une confirmation, parfois partielle, du besoin pouvant être satisfait par ce qu'il propose. L'utilisateur (l'ingénieur aussi) confond souvent la notion de besoin avec celle de la demande générée par ce besoin. C'est sur l'aptitude du nouveau produit à satisfaire la demande qu'il sera finalement jugé.

Hélas, la notion de demande n'est que très rarement générée par la présentation d'une idée. Ce sont les premières applications du produit et un certain recul qui feront réellement naître la demande et, le cas échéant, reconnaître le nouveau produit comme valable. Il y a donc prise de risque, directement proportionnelle au caractère novateur du projet.

L'intérêt du créateur est souvent plus orienté vers le «devenir» que vers l'«être» d'une idée ou d'un produit. Il doit partiellement créer des références nouvelles, nécessaires non seulement à imaginer les caractéristiques de la nouveauté qu'il proposera, mais également afin d'en pou-voir juger l'impact, avant même de l'avoir concrètement réalisée.

Il fait référence à l'histoire pour mieux comprendre le «pourquoi» du présent, utilisé ensuite comme base d'évaluation pour le futur. Il sait qu'il ne doit compter principalement que sur lui-même pour évaluer la demande qui naîtra de ce qu'il va créer.
Souvent, pour un observateur, le créateur suit essentiellement une intuition. En réalité, il me semble qu'il suit un raisonnement relativement logique. A l'extrême, il admettra qu'on le qualifie d'intuitif, à condition que la définition de l'intuition soit revue et ressemble à «un processus logique dont le détail et le développement échappent parfois à la conscience de l'observateur...!»

Dans notre pays, l'intérêt des citoyens pour le produit «en devenir» n'est pas inscrit au palmarès des valeurs les plus cotées. Il y a dans le présent et dans son évolution lente et réfléchie, un confort (un réconfort?) auquel l'Helvète cède peut-être plus volontiers que les citoyens d'autres pays. Je ne renie pas l'art de cultiver ces valeurs, mais je déplore que nous considérions comme incompatibles ce qu'il faut peut-être appeler «le droit à la création et à la reconnaissance des valeurs qu'elle véhicule» et «la valeur de ce qui se pense, se fait, ou s'est toujours pensé et toujours fait!»
Plus le caractère novateur de ce que l'on entreprend est grand, moins la référence à un savoir acquis est théoriquement possible. Dans le domaine de la création, le savoir peut avoir un côté stérilisant, il confère une sécurité et contribue à valider les options prises. Ne pas trouver, dans son propre savoir ou dans celui des autres, les références étayant un projet, peut être — avec une «bénédiction académique» — une excellente raison de ne pas l'entreprendre.
 
Le créateur doit considérer comme prioritaire non pas ce qu'il sait (ou ce que les autres savent), mais plutôt ce qu'il peut faire de ce qu'il sait. Dans ce but, faire appel à des équipes pluridisciplinaires est une des solutions. Il faut admettre également, comme le dit Bergson qu'une idée nouvelle émane souvent de personnes issues d'un milieu dans lequel elle ne s'applique pas; le cas échéant et ultérieurement, le spécialiste sera le mieux placé pour la réaliser. L'initiateur devra convaincre d'autres personnes du bien fondé de ce qu'il souhaite entreprendre. La grande difficulté est sa tendance à minimiser les problèmes auxquels il sera confronté. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une manipulation de sa part, mais plutôt d'une réaction saine: si le créateur savait à l'avance l'ampleur et la nature des problèmes qu'il va rencontrer, il hésiterait, voire renoncerait à son projet. Quelque bonne que soit son idée, il ne doit pas oublier que sa valeur est fragile tant que l'(les) autre(s) ne la partage(nt) pas!
Il trouve ses appuis sur la solidité émanant de son projet et sur la conviction qui l'anime. Il ne peut cependant pas offrir de garantie quant à l'issue de son projet; il n'a à offrir que sa volonté et ses compétences...

Patience et confiance!

Si je me réfère aux expériences «créatives» menées par la FST, je constate qu'une nouveauté suit un processus en plusieurs étapes. A la présentation d'un nouveau produit, le consommateur ou son entourage ne crie que rarement bravo! Le créateur ne doit pas s'en étonner, ne pas s'offusquer d'une réponse tiède de l'utilisateur potentiel, mais doit savoir qu'il ne pourra obtenir un jugement fiable que lorsqu'une «masse critique» suffisante de tests aura été entreprise. Il est préférable d'avertir de ce phénomène ceux qui ont contribué à la réalisation du projet, même au risque d'engendrer une déception pouvant avoir de très graves conséquences.
Le parcours du créateur commence par une prise de risque (pour lui et pour ceux qu'il associe à son projet). Elle est suivie par une série de situations auxquelles il craint ne pas pouvoir trouver d'issues, le doute ne cessant de l'habiter. Le créateur doit garder confiance et méditer la définition suivante: avoir confiance en soi n'est pas occulter ses doutes, mais plutôt apprendre à les gérer!
 
Comment faire intervenir l'utilisateur dans le processus de création?

Comme nous l'avons vu plus haut, commencer par demander à l'utilisateur ce qu'il souhaite ne génère que rarement des réponses pouvant s'avérer réellement utiles, à terme. Par contre, la manière idéale de le faire se sentir concerné consiste à faire avec lui une analyse des difficultés qu'il rencontre quotidiennement. A l'occasion de cette démarche, l'utilisateur potentiel fait part des situations critiques auxquelles il est régulièrement confronté. C'est sur la base de ce que l'on peut qualifier de «catalogue des situations critiques» qu'une sélection de celles qui peuvent être améliorées doit être établie.
Il appartient ensuite au «créateur», sur la base de ce qu'il a identifié avec l'utilisateur potentiel, d'imaginer des solutions possibles et de concrétiser les plus accessibles.
L'utilisateur intervient ensuite dans la phase d'expérimentation et d'évaluation. C'est alors le deuxième moment, dans tout le processus, où il est réellement indispensable.
Dans le domaine «technologie et social», créer, c'est se rappeler que l'important n'est pas la performance technologique, mais l'aptitude de l'homme à en faire usage. Créer c'est, comme dans bien d'autres domaines, devoir assumer de temps à autre certains échecs pouvant même compromettre la carrière du créateur. Créer, c'est bien sûr et avant tout, un plaisir: celui de constater que finalement une idée nouvelle s'est banalisée, que le consommateur se l'est totalement appropriée.
Créer des aides techniques, dans le domaine social, se résume peut-être à cette phrase: «Concilier H igh-Tech, éthique et tact!»